L’accord sur le plafond de la dette est un arrangement cruel qui impose de nouvelles exigences de travail aux bénéficiaires du SNAP [Programme d’aide alimentaire américain, NdT] et met des obstacles bureaucratiques à ceux qui y ont encore droit. Il exclut des personnes des listes de bénéficiaires et leur inflige des contraintes douloureuses, apparemment au hasard, sans tenir compte des conséquences humaines.
Source : Jacobin, Matt Bruenig
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
Un accord sur la limite de la dette a été conclu. Cet accord prévoit de nouvelles règles concernant le programme de bons d’alimentation :
Le projet de loi impose de nouvelles conditions de travail pour les bons d’alimentation aux adultes âgés de 50 à 54 ans qui n’ont pas d’enfants vivant dans leur foyer. En vertu de la loi actuelle, ces conditions de travail ne s’appliquent qu’aux personnes âgées de 18 à 49 ans. La limite d’âge sera introduite progressivement sur trois ans, à partir de l’exercice l’année fiscale 2023.
Le projet de loi prévoit également d’exempter les anciens combattants, les sans-abri et les personnes qui ont été placées dans des familles d’accueil de l’obligation de travailler dans le cadre du programme de bons d’alimentation – une mesure qui, selon les responsables de la Maison-Blanche, compensera les nouvelles exigences du programme et laissera à peu près le même nombre d’Américains admissibles à l’aide alimentaire à l’avenir.
Les règles étendues aux personnes âgées de cinquante à cinquante-quatre ans exigent qu’elles accomplissent, enregistrent et déclarent quatre-vingts heures de travail par mois, soit sous la forme d’un emploi rémunéré, soit en participant à un « programme de travail » non rémunéré organisé par le gouvernement. La prestation mensuelle maximale du SNAP pour un individu est de 281 dollars, ce qui fait que l’itinéraire du programme de travail de quatre-vingts heures équivaut en fait à un emploi rémunéré 3,51 dollars de l’heure. Cela représente moins de la moitié du salaire minimum fédéral de 7,25 dollars.
Abattage aveugle des listes d’attente
L’essentiel du discours sur ce changement s’est concentré sur le débat philosophique concernant le bien-fondé de conditionner la perception de prestations à l’activation sur le marché du travail et sur le débat empirique concernant l’effet réel de ce type d’exigences sur l’emploi.
Ces débats sont intéressants, mais ils ne tiennent pas compte de la réalité administrative plus terre-à-terre de ce type de changement de règles. Plus que toute autre chose, ce qui se produit lorsque l’on renforce les exigences de cette manière, c’est que les bénéficiaires de prestations existants ne se rendent pas compte que les règles ont changé et qu’ils doivent soumettre de nouveaux formulaires afin de continuer à bénéficier de leurs prestations. Ils sont alors exclus du bénéfice des prestations, même s’ils satisfont aux nouvelles exigences.
Ainsi, alors qu’en théorie, ce type de réforme vise à distinguer les bénéficiaires actifs du SNAP des bénéficiaires inactifs du SNAP et à menacer ces derniers de réductions de prestations afin de les inciter à travailler ou à suivre un programme de travail, en réalité, cette réforme ne fait qu’utiliser les frictions liées à la diffusion de l’information et les charges administratives pour éliminer sans discernement les bénéficiaires actifs et inactifs du SNAP.
C’est ce qui s’est produit en 2018 lorsque l’Arkansas a renforcé les règles de travail pour bénéficier de Medicaid. Après ce changement, seuls 20 % des personnes concernées par les nouvelles règles ont même rempli les formulaires correspondants et seuls 6 % ont déclaré avoir travaillé suffisamment pour répondre aux exigences.
La même chose s’est produite cette année lorsque les règles d’éligibilité à Medicaid de l’ère COVID ont été supprimées. Ce changement visait non seulement à exclure du programme les personnes qui n’auraient pas été éligibles à Medicaid, mais aussi à l’extension du programme dans le cadre de l’ère COVID. Dans la pratique, la grande majorité des personnes qui ont perdu leur couverture au cours de cette période l’ont fait pour des raisons procédurales liées au fait qu’elles n’ont pas rempli les nouveaux formulaires.
Les premières données montrent que de nombreuses personnes ont perdu leur couverture pour des raisons de procédure, par exemple lorsque les bénéficiaires de Medicaid n’ont pas renvoyé les documents nécessaires à la vérification de leur éligibilité ou n’ont pas pu être localisés. Le grand nombre de résiliations pour des raisons de procédure suggère que de nombreuses personnes perdent leur couverture alors qu’elles y ont toujours droit. Beaucoup de ceux qui ont été exclus étaient des enfants. . . .
D’autres États ont également retiré un grand nombre de bénéficiaires de Medicaid pour des raisons de procédure. Dans l’Indiana, près de 90 % des quelque 53 000 personnes qui ont perdu leur couverture Medicaid au cours du premier mois de mise en œuvre de la réforme de l’État ont été exclues pour ces raisons. En Floride, où près de 250 000 personnes ont perdu leur couverture Medicaid, la grande majorité d’entre elles l’ont été pour des raisons procédurales.
Si nous avions réellement la possibilité administrative d’appliquer ces nouvelles règles SNAP afin de réduire à zéro les revenus des bénéficiaires inactifs, les débats philosophiques et empiriques seraient beaucoup plus convaincants. Mais la politique dont nous parlons consiste à expulser au hasard un groupe de bénéficiaires du SNAP âgés de cinquante à cinquante-quatre ans, sans tenir compte du fait qu’ils sont ou non actifs.
L’exemption des anciens combattants est révélatrice
Pour qu’il y ait un discours politique, il faut que des intellectuels de diverses tendances politiques justifient les différents choix politiques. Mais les justifications ne fonctionnent que dans la mesure où elles sont liées à certaines valeurs consensuelles sur ce qui fait qu’une politique est bonne ou mauvaise.
Cela crée une situation étrange pour les intellectuels politiques conservateurs, car les opinions des électeurs et des politiciens conservateurs en matière de politique de bien-être sont largement motivées par des ressentiments et des impulsions punitives qui ne sont pas considérés comme pertinents pour l’élaboration de bonnes politiques. Le rôle des intellectuels politiques conservateurs consiste donc à trouver des arguments qui, bien qu’ils ne motivent pas réellement l’élaboration de politiques conservatrices, fonctionnent néanmoins comme des justifications d’une manière lisible pour les décideurs politiques.
Dans le cas des exigences de travail pour SNAP, Medicaid, TANF [Assitance Temporaire pour les Familles dans le Besoin] et d’autres programmes similaires, l’attrait de la vie réelle est largement ancré dans le désir de nuire au type de personnes que l’on imagine ne pas satisfaire aux exigences : les drogués, les vagabonds, etc. Nombreux sont ceux qui pensent que ces personnes sont des salauds et qui ne veulent pas les voir percevoir des revenus.
Mais dire à ces gens « d’aller se faire voir » ne peut être retenu comme une justification dans les normes du débat public. Les intellectuels conservateurs doivent donc essayer de faire valoir que ce type d’exigences en matière de travail est en fait bénéfique pour les personnes qui y sont soumises. Elles les poussent à travailler, ce qui leur donne un sens et une communauté, et les met en position de progresser sur le marché du travail, ce qui leur permet de gagner plus d’argent.
Ce genre de choses est divertissant dans une certaine mesure, mais les décideurs politiques ne pensent manifestement pas de cette manière car, si c’était le cas, ces règles ne seraient pas toujours accompagnées d’une liste d’exemptions pour les populations sympathiques.
En l’occurrence, les exigences du SNAP en matière de travail ne seront pas appliquées aux anciens combattants. Cela s’explique évidemment par le fait que les anciens combattants constituent un groupe vénéré dans notre société. Mais si les exigences en matière de travail sont bonnes pour les personnes qui y sont soumises, comme le prétendent les intellectuels politiques conservateurs, alors elles devraient surtout être appliquées aux groupes vénérés, comme les anciens combattants, pour lesquels nous voulons de bonnes choses, n’est-ce pas ?
Comment ces personnes sont-elles censées vivre ?
Contrairement à la plupart des pays développés, les États-Unis ne disposent pas de ce que l’on appelle souvent une « assistance sociale », c’est-à-dire une prestation de dernier recours destinée aux personnes qui ne sont pas en mesure de se procurer un revenu minimum sur le marché ou dans le cadre de l’État-providence. La prestation qui s’en rapproche le plus est le SNAP, mais celui-ci comporte tellement de restrictions d’éligibilité, qui ne cessent d’ailleurs de s’aggraver, qu’il ne fonctionne pas comme une prestation d’assistance sociale. Les 281 dollars par mois de bons alimentaires du SNAP sont également loin d’être un revenu minimum.
Ailleurs, l’assistance sociale répond, au moins nominalement, à la question de savoir comment certains types de personnes qui passent à travers les mailles du filet du système de revenu ordinaire sont censés vivre. Il s’agit généralement de prestations très modestes, assorties de conditions de ressources très strictes, mais elles existent au moins et remplissent cette fonction importante de protection de dernier recours.
Mais quelle est notre réponse à la question de savoir comment ces personnes sont censées vivre aux États-Unis ? Il est étrange que nous ne semblions même pas poser la question, et encore moins faire un réel effort pour y répondre.
Que voulons-nous qu’une personne de 52 ans qui n’a pas d’emploi et qui se voit retirer ses bons d’alimentation fasse exactement ? Mendier dans les rues ? Qu’il meure ? Qu’il commette des crimes ? Sérieusement, quelle est l’idée ? Est-ce que quelqu’un le sait ? Est-ce que quelqu’un s’en préoccupe ?
Contributeur
Matt Bruenig est le fondateur du People’s Policy Project.
Source : Jacobin, Matt Bruenig, 30-05-2023
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
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Commentaire recommandé
Aux pauvres de tous les pays : Tant que les riches ne peuvent pas vous craindre, ils ne peuvent pas vous respecter. Ca fonctionne aussi pour les pays.
9 réactions et commentaires
Aux pauvres de tous les pays : Tant que les riches ne peuvent pas vous craindre, ils ne peuvent pas vous respecter. Ca fonctionne aussi pour les pays.
+43
AlerterIl est loin le temps ou l’Occident et en particulier le(s) USA pouvait faire payer au reste du Monde leurs problèmes intérieurs via le $/£/€. Ce fut une époque bénie (pour eux) ou ils pouvaient tuer impunément a une échelle planétaire, détruire des pays et massacrer des millions de gens, ils pouvaient en ces temps bénis tout faire sauf, utiliser SWIFT comme arme de guerre car l’argent devait pouvoir circuler sans entrave et donc librement mais depuis il y a eu l’Ukraine avec un changement de règles établies pourtant depuis les années 1920 avec l’introduction du blocus financier.
Pour la 1ere fois les pays achetant traditionnellement de la dette américaine se posent ouvertement la question qui fâche : vont-ils récupérer leurs mises, surtout que les autorités Américaines ont dit que le paiement des intérêts serait dépendant de leur situation interne ?
Le plus important acheteur potentiel de la Dette USA étant les Chinois et que ceux-ci étant parmi les plus retord avec la monnaie, il n’est pas du tout certain que Blinken a Pékin ai eu l’oreille de XI sans fortes contreparties, surtout que l’on sait déjà que les déficits publiques seront de toutes manière supérieures au budget qui inclus pourtant l’accord sur le plafond de la dette et qu’il faudra a nouveau crever le plafond.
Et donc quand votre meilleur ennemi refuse de vous passer de l’oseille, il faut faire payer sa propre population en commençant par les plus pauvres, ce sont les plus nombreux et ce ne sera malheureusement pas suffisant.
+18
AlerterOuais, c’est pour ça que Blinken a changé le discours sur Taïwan, virage à 180°, il y a 6 mois biden disait « nous ne laisserons pas tomber Taïwan » et là « Nous ne voulons pas interférer dans les affaires internes… »
Des pantins pathétiques au bord du gouffre, le problème c’est qu’il entraîne le monde entier dans leur folie…
+16
AlerterLes « Grandes Puissances » (y compris Chine et Russie) continuent de s’enferrer dans un système économique compétitif, le « libre-échange », qui repose sur l’enrichissement grâce au remplacement de l’activité des humains par les machines, ou leur transformation en machines(dénués de libre-arbitre et livrés, soit à leurs besoins primaires pour les plus pauvres, ou aux dictats de consommation de l’hyper-production pour les plus « aisés »).
Système défendu, protégé par les super-machines que sont les armes… et les militaires.
C’est toute l’histoire de « l’ère industrielle » (et de sa gloutonnerie en énergies) qui est à reconsidérer et corriger, au moment où les Nations européennes envisagent leur ré-industrialisation.
Car les principales particularités de l’espèce humaine(l’habileté manuelle et celle de formuler des mots pour penser, communiquer et s’entendre,et donc transmettre les savoirs et les capacités), qui lui ont permis de se « développer » en nombre, sont désormais rendues inutiles, dévalorisées par les « grands patrons » et leurs acolytes, les politicien-ne-s plus ou moins subjugué-e-s.
Les vastes étendues fertiles de la terre, confrontées aux dégradations de l’environnement (notre biotope), ont besoin du courage, de l’inventivité et de l’activité (manuelles et intellectuelles) de chacun-e pour retrouver l’équilibre qui permet la VIE.
+5
AlerterJe voulais dire: l’atroce cruauté vis-à-vis des migrant-e-s/réfugié-e-s ne peut être contrée que par un indispensable sursaut d’humanité des populations des pays « prospères » et par leur prise de conscience de leur pouvoir de citoyen-ne-s, celui que des révolutions anciennes avaient consacré et que la gigantesque industrie du « divertissement » réussit (presque) à annihiler.
+4
AlerterCe qui est écrit là est en fait un gigantesque assassinat de pauvres.
L’espérance de vie aux USA est tombée à 76 ans et semble continuer sa chute, dû au COVID mais surtout a l’absence de soin pour la population moins aisée. Mais avec un système de santé aux coûts hypertrophiés.
Cuba pays pauvre 453$/ personne/ par mois,sans moyen mais qui a un système de santé actif pour tous. l’espérance de vie est de 79 ans en 2022 .
+12
AlerterBen voilà, on se retrouve dans la situation du 16ème siècle, décrite dans « Le Capital » de Karl Marx, livre 1, huitième section, « l’accumulation primitive »…. Le capitalisme a fait sa révolution (comprendre cycle). Comme le déconseille l’auteur, commencer par la fin (partie historique) évite l’abandon dans la partie théorie.
Bonne lecture!
+3
AlerterCa nous ramène a l’article de Les Crises du 17 Juin sur l’euthanasie au Canada consistant a mettre les plus fragiles en situation de ne pas résister a leur élimination.
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