Source : La Repubblica, Stefania Maurizi, 18-11-2019
La Repubblica [quotidien italien de centre gauche – Wikipedia – NdT] a eu accès aux enregistrements vidéo et audio de la société espagnole UC Global, qui a espionné le fondateur de WikiLeaks, son équipe de journalistes et tous ceux d’entre nous qui ont rendu visite à Assange à l’ambassade d’Équateur au cours des sept dernières années. Les images vidéo et les enregistrements audio révèlent une effroyable violation de la vie privée. Toutes les informations recueillies par UC Global ont été envoyées aux services secrets américains.
On dirait un film de James Bond, mais c’est une histoire vraie. Julian Assange, les journalistes de WikiLeaks et tous les avocats, journalistes, politiciens, artistes et médecins qui ont rendu visite au fondateur de WikiLeaks à l’ambassade équatorienne au cours des sept dernières années ont été victimes d’espionnage systématique. Les réunions et les conversations ont été enregistrées et filmées, et toutes ces informations ont été transmises aux services de renseignements américains. Certaines de ces opérations d’espionnage étaient vraiment étranges : un jour, des espions avaient même prévu de subtiliser la couche d’un bébé qui avait été présent lors d’une visite à Assange à l’intérieur de l’ambassade. Le but ? Prélever les excréments du bébé et effectuer un test ADN pour déterminer si le nouveau-né était un fils caché de Julian Assange.
La Repubblica a eu accès à certaines des vidéos, des enregistrements audio et des photos. Rencontres entre le fondateur de WikiLeaks et ses avocats, examens médicaux de Julian Assange, rencontres diplomatiques de l’ambassadeur équatorien Carlos Abad Ortiz, rencontres entre Assange et des journalistes. Tout était espionné.
L’auteur de cet article a constaté qu’elle n’a pas seulement été filmée, mais que ses téléphones ont été ouverts, probablement pour obtenir le code IMEI qui permet d’identifier de façon unique chaque appareil afin de l’intercepter. Les espions ont également eu accès à nos clés USB, bien qu’à ce stade, il n’est pas sûr qu’ils aient réussi à casser le cryptage protégeant les informations stockées sur les clés USB de nos sacs à dos. Il s’agit là de violations très graves de la confidentialité des sources journalistiques, étant donné que nos réunions à l’intérieur de l’ambassade étaient entièrement professionnelles et que, en tant que visiteurs fréquents, nous avons été enregistrés à plusieurs reprises comme « journalistes ».
Le bâtiment le plus espionné de la planète
Tout le monde pouvait imaginer que l’ambassade de l’Équateur à Londres, où Julian Assange s’était réfugié, faisait l’objet d’une surveillance extraordinaire, mais ce qui n’était qu’une supposition raisonnable est devenu une certitude après que le juge José de la Mata de la Haute Cour espagnole (Audiencia Nacional) a ouvert une enquête contre UC Global – une société basée à Jerez de la Frontera, Cadiz, au sud de l’Espagne – et qu’il a fait perquisitionner ses bureaux et arrêter son propriétaire, David Morales.
Le 19 juin 2012, lorsque le fondateur de WikiLeaks s’est réfugié dans le petit appartement qui est l’avant-poste diplomatique de Quito au Royaume-Uni, l’ambassade ne disposait pas des mesures de sécurité les plus élémentaires : elle n’était même pas équipée de caméras. C’est pourquoi le gouvernement équatorien de Rafael Correa, qui avait accordé l’asile à Julian Assange, a engagé UC Global, une petite société de sécurité fondée par un ancien militaire espagnol, David Morales, qui avait protégé la famille de Correa.
Quand Morales a commencé à travailler pour l’Équateur, c’était un petit chef d’entreprise avec de grandes ambitions : il espérait rejoindre le milieu des entrepreneurs ayant des sociétés lucratives dans des endroits dangereux du monde entier. C’est précisément la présence de Julian Assange à l’ambassade d’Équateur qui lui a offert la possibilité de développer son activité, selon certains de ses anciens employés devenus témoins de l’enquête en cours contre lui. Des témoins ont reconstitué comment Morales s’est mis au service du renseignement américain pour espionner Julian Assange, ses visiteurs et le personnel. L’enquête espagnole repose sur une quantité considérable d’enregistrements vidéo et audio, sur les courriels et les chats internes d’UC Global.
L’escalade sous Donald Trump
Après l’élection de Donald Trump, les activités d’espionnage de UC Global ont vraiment pris leur envol. A l’intérieur de l’ambassade, de nouvelles caméras ont été installées pour recueillir non seulement des fichiers vidéo, mais aussi pour enregistrer des conversations avec des micros intégrés qui ne pouvaient être détectées « à l’œil nu », comme le révèlent les e-mails internes d’UC Global. David Morales a demandé à ses employés de fournir des informations telles que la composition physique des murs de la pièce d’Assange : « brique, maçonnerie, ciment », « données wifi de l’ambassade », et Morales a même songé à installer des microphones capables de détecter les sons au travers des murs.
Rien ni personne n’a été épargné. On a contrevenu au respect même des rencontres les plus sacrées : des images vidéo et audio vues par la Repubblica montrent un Julian Assange à moitié nu lors d’une visite médicale, l’ambassadeur équatorien Carlos Abad Ortiz et son équipe lors d’une de leurs réunions diplomatiques, deux avocats d’Assange, Gareth Peirce et Aitor Martinez, entrant dans les toilettes pour femmes pour un entretien confidentiel avec leur client.
Ce fut Julian Assange qui suggéra de tenir les réunions sur la procédure légale dans les toilettes pour femmes parce qu’il soupçonnait être sous surveillance intensive. Les avocats y avaient vu une attitude paranoïaque de la part d’Assange, et UC Global les avait rassurés à ce sujet, mais en réalité des micros avaient été placés même dans les toilettes des femmes.
Bien sûr, le personnel passé et présent de WikiLeaks a été particulièrement visé. Stella Morris était l’une des principales cibles. La journaliste Sarah Harrison, qui s’est rendue à Hong Kong pour aider Edward Snowden, a également été prise pour cible. Le patron d’UC Global a aussi demandé à ses employés des profils actualisés de Renata Avila, l’avocate et experte en droits numériques, du philosophe croate et co-fondateur de DIEM, Srecko Horvat, de l’avocate londonienne Jennifer Robinson, qui représente Julian Assange depuis 2010, des réalisateurs Juan et José Passarelli et du juriste espagnol Baltasar Garzon, qui dirige l’équipe juridique de Julian Assange. Une série de photographies révèle que Garzon a été pris en filature. Les dossiers révèlent également que les téléphones du journaliste indépendant et expert technique Andy Müller-Maguhn ont été mis sur écoute. Des enregistrements vidéo à l’intérieur de l’ambassade montrent Glenn Greenwald et son mari, David Miranda, rencontrant Julian Assange, et le rappeur britannique M.I.A. en train de déjeuner avec le fondateur de WikiLeaks alors que son chat est assis sur la table.
Julian Assange sans défense
Il ne semble guère y avoir de doute que cette opération d’espionnage de grande envergure a été menée au nom des États-Unis. Les déclarations d’anciens employés, les courriels internes et la nature des renseignements recueillis en attestent.
Pendant les sept années qu’il a passées enfermé dans l’ambassade avant d’être arrêté en avril dernier, Julian Assange a tenté de se défendre du mieux qu’il a pu contre une surveillance aussi omniprésente. L’un des stratagèmes qu’il a utilisés était un dispositif à bruit blanc pour perturber les interceptions. Dans une certaine mesure, un tel dispositif a fonctionné. Pour éviter la perturbation causée par son dispositif de bruit blanc, UC Global a dû installer un microphone caché dans l’extincteur juste à côté de l’endroit où Assange serait assis dans la salle de réunion. Il était presque impossible de repérer un tel microphone, collé avec un aimant à l’intérieur de la base de l’extincteur. Ce n’était pas la seule perturbation créée par le dispositif à bruit blanc : selon les travailleurs d’UC Global, les Américains avaient placé des microphones laser à l’extérieur de l’ambassade pour intercepter les conversations à l’intérieur, captant les vibrations du verre des fenêtres. Mais les petites vibrations produites par le dispositif à bruit blanc interféraient avec ce procédé, perturbant la réception, et le patron de UC Global est finalement intervenu pour résoudre ce problème au moyen d’une solution technique apportée par les Américains eux-mêmes.
Les enregistrements vidéo et audio auxquels la Repubblica a eu accès révèlent les violations extrêmes de la vie privée auxquelles Julian Assange, les journalistes, avocats, médecins et journalistes de WikiLeaks ont été soumis à l’intérieur de l’ambassade, et représentent une étude de cas choquante sur l’impossibilité de protéger les sources et les documents journalistiques dans un environnement aussi hostile. Cette opération d’espionnage est particulièrement scandaleuse si l’on considère qu’Assange était protégé par l’asile, et si l’on considère que les informations recueillies seront utilisées par les États-Unis pour étayer son extradition afin de le condamner pour les crimes dont il est actuellement accusé et pour lesquels il encourt 175 ans de prison – la divulgation des documents secrets des autorités américaines qui révèlent des crimes de guerre et la torture, de l’Afghanistan à l’Irak, en passant par Guantánamo.
L’avocat espagnol Aitor Martinez, membre de l’équipe juridique de Julian Assange a été filmé par UC Global : Il a déclaré à la Repubblica : « Au fil des ans, M. Assange a rencontré son équipe juridique à l’ambassade. Ces réunions étaient protégées par la relation avocat-client qui sous-tend le droit fondamental à la défense. Cependant, nous pouvons constater que ces rencontres ont été espionnées, comme le montrent les vidéos publiées par différents médias. Dans ces conditions, il est clair que l’extradition doit être refusée. Nous espérons que la justice britannique va comprendre l’ampleur de ce qui s’est passé et refuser l’extradition dès que possible. »
Source : La Repubblica, Stefania Maurizi, 18-11-2019
Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.
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Commentaire recommandé
Et ensuite, on va faire pleurer dans les chaumières à propos de la Stasi dans la méchante RDA.
Heureusement, « le Mur est tombé », et nous en dégustons les résultats, à commencer par les ouvriers.
J’imagine mal cet article de la Repubblica dans notre presse de « centre gauche », disons Le Monde ou L’Obs. Il faut croire que la presse italienne est moins bête que la presse parisienne. Je l’avais remarqué lors de la guerre du Kosovo.
En 2015, on apprit que le BND allemand avait espionné la France pour le compte de la NSA américaine, sans doute en application du « partnership in leadership » proposé par Bush père à la RFA (discours de Mayence, 1989). Mais ce fut la presse allemande qui développa les révélations, notre presse et notre « gouvernement » vichyssois restant d’une discrétion remarquable.
https://www.sueddeutsche.de/politik/geheimdienst-affaere-bnd-half-nsa-beim-ausspaehen-von-frankreich-und-eu-kommission-1.2458574
16 réactions et commentaires
Et ensuite, on va faire pleurer dans les chaumières à propos de la Stasi dans la méchante RDA.
Heureusement, « le Mur est tombé », et nous en dégustons les résultats, à commencer par les ouvriers.
J’imagine mal cet article de la Repubblica dans notre presse de « centre gauche », disons Le Monde ou L’Obs. Il faut croire que la presse italienne est moins bête que la presse parisienne. Je l’avais remarqué lors de la guerre du Kosovo.
En 2015, on apprit que le BND allemand avait espionné la France pour le compte de la NSA américaine, sans doute en application du « partnership in leadership » proposé par Bush père à la RFA (discours de Mayence, 1989). Mais ce fut la presse allemande qui développa les révélations, notre presse et notre « gouvernement » vichyssois restant d’une discrétion remarquable.
https://www.sueddeutsche.de/politik/geheimdienst-affaere-bnd-half-nsa-beim-ausspaehen-von-frankreich-und-eu-kommission-1.2458574
+73
AlerterLire GeorgesDidihubermann…….eh bien tout est analysé : la nécessité où pas de l importance des images pour faire prendre conscience du mal , dans l Histoire de l Occident.. Faut il faire des photos des massacres ou trouver d autres moyens pour témoigner ???
+0
AlerterNous sommes tous constamment espionnés par l’Empire. La vie privée n’est plus qu’un leurre.
+20
AlerterNe vous en faites pas, ce qui est arrivé à Julian Assange n’est que la partie visible de l’iceberg.
Quand il s’agit de sauver leurs petites fesses joufflues « nos » élites sont prêtes à tout pour se débarrasser des gêneurs qui pourraient porter atteinte à leur business fructueux.
N’oublions JAMAIS que la première fonction d’un état consiste simplement à pérenniser le bien-être de ses « élites » et le business fructueux qui lui est associé.
La « théorie du ruissellement » a de tous temps été à la base de TOUS les états.
Seul problème, c’est que le ruissellement qui est présenté par les « libéraux » est inversé par rapport à la réalité des faits.
Les petits ruisseaux font de grandes rivières, et les petits impôts font les grandes fortunes.
Quant à la « redistribution », elle se fait surtout vers le haut.
Pour les « gueux » il ne reste que les miettes.
Alors ne vous étonnez pas si les « grand hommes providentiels » s’acharnent sans démesure contre tous ceux qui comme Julian ouvrent les yeux de la populace grouillante et malodorante sur leurs turpitudes.
+45
AlerterEt ils lobotomisent Assange pour l’empêcher de se défendre.
La soumission dégradante des gouvernements « amis » de l’Empire devrait provoquer des remous sociaux.
Une telle violence ne peut entrainer que de la violence. Le comportement de nos dirigeants à tous points de vue devient un sérieux problème de la stabilité de cette civilisation.
On a l’impression qu’ils font tout pour susciter un chaos.
Un chaos dévastateur qui permettrait aux forces armées d’imposer un régime … inqualifiable.
+30
AlerterLa seule chance d’Assange de ne pas tourner une nouvelle version du masque de fer, c’est que Jeremy Corbyn gagne les prochaines élections. Sauf que le gars a eu le malheur de soutenir un peu les palestiniens donc il est classé antisémite à vie et il veut soit-disant tout nationaliser, en fait surtout ce qui ne marche plus depuis Thatcher, le système de santé, l’eau, les rails.
+17
Alerteroui,peut être,sauf qu’il veut rester soumis a l’UE et donc a ses maîtres…
+12
AlerterEt le calvaire d’Assange se continue à très très bas bruit. J’ai honte.
+31
AlerterJohn Pilger raconte ses visites à Assange dans la prison de Belmarsh:
https://consortiumnews.com/2019/11/29/john-pilger-visiting-britains-political-prisoner/
+8
AlerterEn français sur le Grand Soir :
https://www.legrandsoir.info/visiter-le-prisonnier-politique-de-la-grande-bretagne-consortium-news.html
+2
AlerterBig Brother is watching you…
Excuses pour citation en anglais, mais on y est !
+15
AlerterL’UE célèbre les lanceurs d’alerte. Fort bien. Dans le monde réel, aucun des membres du club UE ne tend la main à Assange. On n’en finirait plus de faire la liste interminable des contradictions insoutenables entre ce qui est dit et ce qui est fait. En refusant d’aider M. Assange le gouvernement de M. Macron a donné la mesure de sa marge de manœuvre réelle à l’égard du ‘Mordor’ étasunien : aucune.
+29
AlerterA l’ère assumée du réalisme, tous les coups sont permis.
Et les dirigeants de parler sans arrêt de « valeurs » démocratique ou républicaines qu’ils piétinent à chacune de leurs décisions…
Il faut se réapproprier un vocabulaire précis et cohérent si l’on veut avancer : les valeurs sont personnelles et ne se partagent pas forcément tandis que les principes sont intangibles et que ils doivent être respectés.
Quelle surprise de constater que depuis des années on nous bassine de valeurs.
Quelle frustration de constater que, par facilité, la gauche n’est toujours pas sorti de cette impasse.
+13
AlerterJe note que le seul espoir véhiculé par l’article à envisager une issue heureuse au sort d’Assange est la voie politique.
Ecrire: « Après l’élection de Donald Trump, les activités d’espionnage de UC Global ont vraiment pris leur envol » est un appel du pied à ce qu’une alternance démocrate aux EU offre un changement dans le traitement de cette affaire.
Personnellement je ne crois pas que le pouvoir exécutif seul puisse y changer quoi que ce soit et le congrès a, il me semble, toujours été le vecteur de la politique impérialiste des EU.
Or, fouiller dans les traitements qui mêlent affaires politiques et militaires revient à accepter d’affronter le système étatique, l’affaire Assange est un rappel à tous de ce qu’il en coûte.
Assange a imaginé que l’outil internet pouvait offrir une belle contrainte sur la politique, comme toujours (?), le pouvoir en tient compte mais ne lâche pas la bride.
+9
AlerterBeaucoup de mots font vibrer les neuronnes des citiyens de tout pays.
Démocratie,liberté…
Dorénavant nous devons analyser avec rigueur la réalité que est cachèe tres souvent.
C’est une réaction automatique inverse à ce qui est prononcé!
+3
AlerterEt chez nous ?
https://www.laquadrature.net/2019/11/22/reconnaissance-faciale-le-bal-des-irresponsables/
https://www.laquadrature.net/2019/11/18/la-reconnaissance-faciale-des-manifestants-est-deja-autorisee/
https://www.laquadrature.net/2019/11/05/le-parlement-doit-rejeter-le-flicage-fiscal-des-reseaux-sociaux/
https://www.laquadrature.net/2019/10/28/lycees-nice-marseille-premiere-victoire-contre-la-reconnaissance-faciale/
etc . . .
+3
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