Une synthèse par un petit jeune plein d’avenir 🙂
Il faut savoir un gré infini à @Filip__FI, ce lycéen de la France Insoumise, pour la leçon de journalisme qu’il nous donne depuis peu sur son Blog http://bit.ly/2wcvsiZ. Jean Lacouture définissait le journaliste comme « l’historien du présent » et c’est bien ce qui fait défaut à nos zombies des médias : aider le citoyen lecteur, auditeur ou téléspectateur à comprendre le présent à travers l’examen vivant du passé.
Pour bien comprendre l’univocité scandaleuse des médias actuels contre un processus démocratique qui a vu une énorme participation populaire répondre pacifiquement à trois mois d’insurrection armée de la droite, et où des militants de tous bords veulent élargir les droits citoyens en portant leurs propositions à la discussion de la constituante, on doit prendre en compte la disparition du pluralisme suite au rachat généralisé par les milliardaires, l’inculture crasse des écoles de journalisme réduites à l’enseignement du formatage, l’alliance du carriérisme et du conformisme chez d’ex-pigistes, la peur de se retrouver seul et de perdre des lecteurs, la droitisation des sociétés européennes, etc… mais il y aussi l’histoire profonde d’une Europe encore prisonnière de son histoire de domination. Se rappeler par exemple qu’il y a 200 ans des gazettes et agents nord-américains traitaient déjà Bolivar de « César assoiffé de pouvoir ». Ou comprendre que la politique Sud-Sud du président Chavez, visant à unifier l’Amérique Latine et à la rapprocher de l’Afrique, souvent décriée à cause de rapports avec l’Iran ou la Libye, s’inspirait en réalité de la vision de Bolivar del « Equilibrio del mundo » et de la célèbre conférence de Bandoeng de 1955 où pour le dire avec Lacouture, « les damnés de la terre réinventèrent le monde« . Cette conférence réunissait pas mal de tyrans aux côtés de chefs d’État plus démocrates du Tiers Monde mais nul historien ne conteste qu’elle marqua une étape décisive dans l’émancipation post-coloniale des peuples du Sud.
Thierry Deronne, Caracas, juillet 2017
Source : Le Blog Mediapart, Filip Fi, 10-07-2017
Le Venezuela et sa révolution bolivarienne, c’est quoi au juste? Si vous vous posez cette question, vous êtes au bon endroit. Pour certains d’entre vous, vous en avez entendu parler à l’occasion des deux derniers scrutins électoraux avec la fameuse « Alliance bolivarienne ». Pour d’autres, vous connaissiez déjà ce pays et ce qui s’y passe mais des questions restent toujours en suspens. Dans les deux cas, cette série d’articles vous est destinée. En voici un avant-propos.
Au-delà du seul Venezuela, l’étude de la révolution bolivarienne est d’autant plus intéressante, qu’elle a amorcé le passage à gauche de nombreux pays d’Amérique latine en ce début de XXIème siècle, occasionnant des changements profonds et inédits à travers le continent, avec plus ou moins de succès selon les cas.
Mais elle est également à l’origine d’un clivage profond de Caracas à Paris. A la fois un clivage classique des forces politiques antagoniques (gauche/droite au sens littéral des termes), mais également un clivage fratricide au sein de la gauche intellectuelle, accentué par la crise en cours dans le pays.
Ma démarche à travers cette série d’article est avant tout d’informer et de rétablir la vérité à propos de cette révolution. Mille et une choses ont été dites et répétées dans les médias « mainstream », avec souvent une désinformation qui frise le ridicule. Et pourtant, l’acharnement est tel, que certains, y compris parmi les plus convaincus jusqu’ici, se mettent à douter des acquis de la révolution et se perdent dans la critique incessante qui lui est faite. Par conséquent, ma démarche sera essentiellement factuelle oui, mais je ne manquerais pas de prendre position et d’interpréter certains faits, si cela me semble nécessaire.
Enfin, je termine cet avant-propos avec quelques précisons quant à la forme et l’origine de cette série d’articles. En premier lieu, il faut savoir que l’ensemble est basé sur un devoir du baccalauréat (TPE) que j’ai réalisé l’année dernière. Ce devoir est matérialisé par un dossier de trente et une pages déjà bien remplies. Afin de ne pas partir de zéro, j’ai décidé de le reprendre, notamment à travers son organisation, dans
l’optique de rendre accessible au plus grand nombre des informations aussi fiables que possible sur la révolution.
Le choix du titre des articles n’est pas non plus anodin. J’ai choisi la formulation Révolution bolivarienne de B à M pour deux raisons. Tout d’abord pour montrer la logique chronologique de notre aventure, du B de Bolivar au M de Maduro, mais aussi pour préciser que je n’ai nullement la prétention de relater ici la vérité vrai sur le Venezuela, ni de tout dire de A à Z. Je m’y appliquerais mais, n’étant pas un surhomme, certaines choses m’échapperont, quand d’autres seront de trop.
L’objectif premier de cette série d’article est de faire en sorte que les mensonges répétés mille fois, ne finissent pas par devenir des vérités.
Les articles se suivent chronologiquement mais peuvent tout à fait se lire séparément. Cela permet le partage séparé des articles afin que l’on diffuse un maximum autour de nous des informations qui se font rares dans la presse.
En vous souhaitant une bonne lecture et en espérant que cette série vous plaira et vous sera utile.
Source : Le Blog Mediapart, Filip Fi, 10-07-2017
Venezuela: Révolution bolivarienne de B à M #1
Source : Le Blog Mediapart, Filip Fi, 12-07-2017
Comme son nom l’indique de la manière la plus explicite qui soit, la révolution bolivarienne se réclame de la pensé d’une personne : Simon Bolivar, pourquoi ? Qui est cet Homme ? Quelle est donc sa pensée pour qu’elle soit reprise au XXIème siècle ? Et oui, on ne fait pas de politique sans histoire, alors rembobinons la cassette historique de deux cents ans, car c’est là qu’en réalité, tout a commencé.
I. Qui est-il?
Né le 24 juillet 1783 à Caracas, Simon Bolivar, aussi appelé le Libertador (libérateur), fut un homme politique et leader militaire qui joua un rôle majeur dans la libération des peuples de l’Amérique du Sud.
Fils d’aristocrates espagnols, il grandit, contrairement à ce que l’on pourrait penser, dans un milieu privilégié. Il perd ses parents très jeunes (3 et 9 ans) mais deux personnes vont l’éduquer et forger sa pensé. Hipolita est sa nourrice noire et esclave de la famille, elle va le nourrir et s’occuper de lui comme son propre enfant (elle donnera d’ailleurs son nom à une des missions sociales de la future révolution). Bolivar la gardera toujours au plus près de son cœur.
Simon Rodriguez ou Robinson est peut-être celui qui a joué le plus grand rôle pour forger la pensée de Bolivar, c’est son mentor. C’est un lecteur de Rousseau qui va l’initier à la littérature classique et à la philosophie libérale jusqu’en 1798 (il a d’ailleurs sa place au Panthéon National et donnera lui aussi son nom à une mission sociale). A partir de cette date, Bolivar, poussé par son oncle, entame une carrière militaire et des voyages initiatiques en Europe qui vont compléter sa formation.
En 1799 il arrive en Espagne après une escale au Mexique et à Cuba, il y rencontre rapidement la belle espagnole Maria Teresa dont il tombe amoureux. Il veut fonder une famille et revenir au Venezuela mais son oncle lui conseille de voyager quelques temps en lui expliquant que c’était un peu prématuré. 1801, il se rend à Bilbao puis en France à Paris et Amiens avant de revenir à Madrid et épouser Maria Teresa. Bolivar et Maria Teresa vivent l’amour fou et voyagent au Venezuela jusqu’en janvier 1803 où Maria meurt de la fièvre jaune. Bolivar est bouleversé et anéanti, il repart en Europe pour s’installer à Paris au printemps 1804. Il va y vivre une vie sociale très intense avec tous les plaisirs que peut offrir la capitale française et va même avoir des amours furtifs, un signe évident de sa tourmente amoureuse après la mort de Maria. Bolivar va également y retrouver son maître et ami Simon Rodriguez et d’autres savants avec lesquels il va commencer à parler de l’indépendance latino-américaine.
Continuant ses voyages à travers l’Italie, la Hollande, l’Angleterre et les Etats-Unis, Bolivar s’aperçoit que le déclin de l’empire espagnol est inéluctable et jure à Rome de ne jamais laisser son âme, ni son bras en repos, tant que l’Amérique « espagnole » ne sera pas libre.
II. El Libertador
De retour au Venezuela, Bolivar entame le processus de libération de l’Amérique. Ne racontons pas toutes les batailles militaires mais allons directement aux dates clés de cette indépendance qui sera marquée et influencée par la mort de Bolivar.
- 5 juillet 1811 : Avec l’appui de Bolivar et Francisco de Miranda (un autre héros de l’indépendance), un congrès proclame l’indépendance et la Première République du Venezuela.
- Juin 1812 : Les troupes espagnoles reconquièrent le pays.
- Août 1813 : Après de nombreuses victoires militaires de Bolivar, la Deuxième République est proclamée. Le titre de « Libertador » lui est alors décerné par la municipalité de Caracas (future capitale) le 14 octobre de la même année.
Malgré tout, la république est proclamée mais différentes batailles continueront de sévirent avant la véritable indépendance, c’est-à-dire le retrait définitif des troupes espagnoles.
- 17 janvier 1819 : Sous l’impulsion de Bolivar et sa vision de l’union latino-américaine, la Grande Colombie est proclamée. Elle regroupe le Venezuela et la Colombie (incluant à l’époque le Panama). Plus tard, l’Equateur en fera partie à partir de 1822.
- 17 décembre 1830 : A l’âge de 47 ans, Bolivar, souffrant de graves problèmes de santé, s’éteint, et avec lui la Grande Colombie la même année. Sa mort reste tout de même mystérieuse, certains affirment qu’il a été assassiné.
- 1845 : Après des décennies d’obstination des espagnols pour ces territoires, la souveraineté est enfin reconnue et les troupes militaires espagnoles se retirent enfin.
III. Le bolivarisme
Sur le fond, quel est l’héritage idéologique laissé par Bolivar pour qu’il soit repris à travers tout un continent au XXIème siècle?
On note avant tout la nécessité d’une unité latino-américaine qui va de pair avec son indépendance. Les indépendances nationales doivent se consolider à travers un pouvoir central qui serait le garant de la stabilité du continent. La Grande Colombie en a été une expérience.
Bolivar est également le précurseur de l’anti-impérialisme sur le continent en prônant l’équilibre universel. Cette doctrine consiste à combattre sur le plan international, toute supériorité de nations sur d’autres. Elle s’applique tant à l’hégémonie européenne que celle des Etats-Unis. Et oui, en 1829, Bolivar disait déjà des Etats-Unis qu’ils semblaient « destinés par la Providence à attirer sur l’Amérique toutes les pires plaies au nom de la liberté ».
Mais Bolivar est par-dessus tout un humaniste convaincu. Il refuse l’esclavage et l’exploitation des indigènes, et prône liberté et justice. C’est également un pacifiste, l’armée ne servant à ses yeux qu’à libérer des territoires, en aucun cas les conquérir.
Cette période de l’histoire est extrêmement importante pour comprendre la révolution bolivarienne. Le chavisme fera constamment référence à ces héros de l’histoire vénézuélienne pour s’y identifier. Bien que Bolivar prendra le dessus pour la symbolique dont il est porteur, bien des noms reviendront sur la scène politique, de Sucre à Miranda, en passant par Robinson ou Hipolita.
Dans quel contexte reviendront-ils? La suite au prochain épisode…
Si vous voulez aller plus loin…
- …dans la pensée bolivariste, je vous conseille cet excellent texte d’Héctor Constant Rosales, professeur à l’Université centrale du Venezuela, qui détaille la pensée de Bolivar et son actualité au sein des relations internationales de l’Amérique latine:
Actualité de la pensée de Simon Bolivar dans les relations internationales du XXIe siècle - …dans la biographie de Simon Bolivar lui-même, il est sortie en 2013 un film à très gros budget qui retrace justement sa vie à travers ses aventures américaines et extra-américaines:
Libertador
Source : Le Blog Mediapart, Filip Fi, 12-07-2017
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Commentaire recommandé
Il existe une statue de Simon Bolivar à Paris, une autre à Bruxelles. Cela en dit long sur l’aura du personnage dans le monde.
Par contre, nous pouvons constater qu’hormis aux Etats-Unis, aucune statue de George Washington n’est présente dans le monde Cela en dit, aussi, long sur la petitesse du personnage qui n’a jamais gagné une seule bataille (pour cela, il fallut l’aide française).
7 réactions et commentaires
Il existe une statue de Simon Bolivar à Paris, une autre à Bruxelles. Cela en dit long sur l’aura du personnage dans le monde.
Par contre, nous pouvons constater qu’hormis aux Etats-Unis, aucune statue de George Washington n’est présente dans le monde Cela en dit, aussi, long sur la petitesse du personnage qui n’a jamais gagné une seule bataille (pour cela, il fallut l’aide française).
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AlerterL’Amérique latine a son idole, Simon Bolivar, qui est considéré par nos « élites » comme la pire plaie qui ait pu s’abattre sur le nouveau continent.
En France, il y avait aussi malheureusement des hommes qui possédaient le même souci d’équité envers les peuples mais dont l’oligarchie a réussi à rapidement se débarrasser pour ensuite les traîner dans la boue en réécrivant l’histoire de manière « adaptée ».
Rousseau, Robespierre (le « boucher » qui était opposé à la peine de mort, il faut quand-même le rappeler), Proudhon et tous les autres « oubliés » qui se sont battus pour permettre une plus grande équité sociale sont désormais considérés comme des salauds par toutes nos « élites » qui viennent cracher sur leurs tombes et celles de Simon Bolivar, de Chavez et de Salvador Allende.
Ce sont d’ailleurs les mêmes qui encensaient Pinochet, Vidella, le shah d’Iran voire Pol Pot et Saddam Hussein quand ça arrangeait leurs « petites affaires ».
Il serait d’abord nécessaire de nous débarrasser de nos dictateurs élus avec 20% du corps électoral avant de pouvoir changer quoi que ce soit ailleurs dans le monde.
+9
AlerterJe crois bien qu’il a dit à la fin de sa vie : « J’ai labouré la mer ! »
Cela indiquerait-il le succès de sa politique ?
+2
AlerterPar Filip FI en réponse au commentaire de Otrava Gamás le 13/07/2017 12:02 sur son blog
Voir ma réponse à cette personne ici: https://blogs.mediapart.fr/filip-fi/blog/220617/venezuela-revolution-bolivarienne-de-b-m-0/commentaires
+1
Alerter« Les classes dominantes vénézuéliennes veulent une revanche sociale, liquider la « révolution bolivarienne », ou ce qu’il en reste, afin que le peuple des anciens « invisibles » ne relève plus jamais la tête. L’oligarchie veut que ces « fils de rien », auxquels le chavisme a donné statut et dignité, retournent au néant….
Jean ORTIZ, Maître de conférences, université de Pau
https://blogs.mediapart.fr/pizzicalaluna/blog/210717/venezuela-le-bain-de-sang-approche-que-fait-la-gauche-internationale
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AlerterHistoriquement et, à terme espérons-le, dans l’actualité, le Venezuela aura toujours respecté la Démocratie pour l’essentiel. Sous les blessures et les croutes de l’époque, son socle démocratique paraît solide. Maintenant, qu’en sera-t-il du « dénouement » de cette crise s’il y en a un? Où, effectivement la droite et l’extrême droite, et comme d’habitude la CIA cette machine à saper les pays, ne jouent pas le jeu.
Pour ceux qui connaissent l’espagnol, ce lien à faire circuler autant que possible:
http://barometrolatinoamericano.blogspot.fr/2017/08/el-triunfo-de-la-constituyente-es.html
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AlerterConnaissant personnellement le jeune auteur de ce blog, je me contenterai ici de souligner sa maturité (au vu des reproches qui pourraient lui être faits quant à sa jeunesse…), sa culture et son intelligence. C’est toujours un énorme plaisir de discuter avec lui et je suis ravie de voir son (formidable) travail sur le Vénézuela reconnu et publié sur ce site 🙂
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